Santé et services sociaux (secteur)

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Le secteur de la santé et des services sociaux est composé d’organisations qui agissent en vue de favoriser l’amélioration de la qualité du tissu social et de réduire les inégalités. Les organismes communautaires autonomes en santé et services sociaux (OCASSS) se définissent comme constituants du mouvement d'action communautaire autonome, un mouvement social autonome d’intérêt public. Ils se considèrent comme des agents de transformation sociale.

Par, pour et avec les communautés dont ils sont issus, les OCASSS sont autant de réponses collectives à une quête de justice sociale. Avec leurs actions novatrices, leurs pratiques originales et leur vision globale, ils atteignent tous les milieux et constituent des ressources aussi variées qu’essentielles. Plus de 2 millions de citoyennes et citoyens s’y retrouvent pour renforcer des milliers de communautés[1]

Le secteur de la santé et des services sociaux rassemble plus de 3 000 groupes communautaires de base de toutes les régions. Ce sont par exemple des maisons de jeunes, des centres de femmes, des cuisines collectives, des maisons d’hébergement, des groupes d’entraide, centres d'action bénévole, des centres communautaires, centres d'écoute, groupes de défense de droits, etc. Plus de 20 000 personnes y travaillent[2].

On y retrouve notamment une cinquantaine de regroupements nationaux, incluant les 42 regroupements qui forment la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (Table ou TRPOCB), et des coalitions régionales dont la plupart sont membres de la Coalition des Tables régionales des organismes communautaires (CTROC)

Historique

Les organismes communautaires en santé et services sociaux représentent une composante essentielle du modèle de développement social au Québec. En 2013-2014, il y avait près de 4 000 organismes communautaires en santé et services sociaux, ce qui représentait un peu plus des deux tiers des organismes communautaires financés par le gouvernement québécois. Ces organismes recevaient près de 532 millions de dollars du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) dont un peu plus de 445 millions en financement global, ce qui en fait les organismes communautaires les mieux pourvus à la fois sur le plan du financement total par ministère et du financement à la mission globale. [3] Ces chiffres sont un élément parmi d’autres qui témoignent à la fois de l’intérêt qu’ils ont réussi a suscité chez les différents gouvernements qui se sont succédé au fil des ans, et de l’opiniâtreté qu’ils ont manifestée dans la lutte qu’ils mènent depuis maintenant presque un demi siècle pour leur reconnaissance et leur autonomie. 

Un peu d’histoire

On peut considérer les comités de citoyens comme les premiers organismes issus de la société civile mis sur pied afin de revendiquer l’amélioration des conditions de vie des populations marginalisées au Québec. Créés par de jeunes animateurs sociaux et des groupes de citoyens bénévoles, ils firent leur apparition au début des années 1960 afin d’intervenir sur des questions d’aménagement urbain, de santé et de défense de droits des communautés dans certains quartiers populaires de Montréal, de Québec et de Hull (aujourd’hui Gatineau). Leurs ressources provenaient surtout du clergé et d’organismes de bienfaisance catholique tel la Fédération des œuvres de charité canadienne-française (philanthropie). Peu après, on voit apparaître de nouveaux organismes qui sont appelés « groupes populaires » (centres communautaires et maisons de quartier par exemple) qui ont souvent été créés à l’initiative des comités de citoyens. Ces groupes populaires se veulent une réponse citoyenne et militante aux besoins des communautés et tendent à se diviser en deux composantes qu’on connaît encore aujourd’hui : groupes de services et groupe de défense de droits.[4]

La situation évolue au début des années 1970 avec, d’une part, l’essoufflement des comités de citoyens (dont l’action n’a pas toujours donné les résultats escomptés) et, d’autre part,  l’étatisation des services sociaux et de santé contrôlés jusque-là par le clergé et certaines congrégations religieuses. Cette opération, sera connu sous le nom de réforme Castonguay-Nepveu et entrainera, en plus du contrôle gouvernemental sur les principaux établissements sociosanitaires du Québec, la création des centres locaux de services communautaires (CLSC). Les CLSC constituent d’une certaine manière la première empreinte institutionnelle laissée par les organismes communautaires au Québec sur le système de santé et de services sociaux puisqu’ils sont nés de l’institutionnalisation d’un certain nombre de cliniques communautaires qui avaient vu le jour à la fin des années 1960, principalement sur le territoire montréalais (les cliniques St-Jacques et de Pointe St-Charles notamment).[5]

Fort de cette intégration institutionnelle, et de ce qu’on percevait alors comme une innovation issue des milieux populaires (l’intégration au sein d’une même organisation de pratiques relevant à la fois du social et du sanitaire, du curatif et du préventif)[6], le gouvernement québécois a consenti peu de ressources aux autres groupes populaires (tel qu’on les désignait à l’époque) au cours des années 1970, préférant consolider son offre de services publics dans un contexte de construction d’un État-providence en santé et services sociaux. De manière générale, seul les groupes populaires en maintien à domicile et certains organismes oeuvrant auprès des familles et des communautés ethno-culturelles vont trouver une oreille attentive de la part du gouvernement québécois en matière de reconnaissance et de financement au cours de la première moitié des années 1970.[7] Ces organismes fonctionnent principalement à partir de ressources bénévoles et le programme gouvernemental les soutenant s’appelle d’ailleurs « Soutien aux organismes volontaires ».[8] Précisons qu’à l’époque, le gouvernement fédéral, à partir de programmes d’employabilité, a fourni un soutien financier indirect non négligeable à certains organismes qui n’auraient pu survivre uniquement avec le financement du gouvernement québécois.

La fin des années 1970 et les années 1980 allaient toutefois marquer un changement majeur à l’égard de l’intérêt porté par le gouvernement québécois aux organismes communautaires.[9][10] Touché de plein fouet par la crise économique, le gouvernement québécois  se voit contraint de trouver des solutions à l’augmentation importante des budgets consacrés à ce qu’on appelait alors le ministère des Affaires sociales (MAS). Ce nouveau contexte budgétaire trouvait sa contrepartie dans la critique menée par les mouvements sociaux concernant l’organisation bureaucratique et hiérarchique des services publics. Malgré un fort mouvement social en faveur de la construction d’un État-providence au Québec, certains acteurs sociaux (notamment issus des groupes populaires) n’ont eu de cesse de critiquer les formes organisationnelles adoptées par les administrations publiques et revendiquer l’obtention de ressources pour mettre sur pied leurs propres activités. Le mouvement des femmes, le mouvement des jeunes et le mouvement de vie autonome (santé mentale et personnes handicapées) ont été les principaux fers de lance d’une nouvelle génération d’organismes communautaires dits de services qui avaient pour objectif d’intervenir « ailleurs et autrement » : ailleurs que dans le secteurs public et marchand, et autrement que dans le cadre des pratiques centralisatrices et hiérarchiques des bureaucraties gouvernementales.[11]

Des années d’affirmation et de développement

Les années 1980 représentent une décennie d’expansion importante pour ce qu’on appelle désormais les organismes communautaires qui voient leur effectif augmenter considérablement au cours de cette période. On évalue leur nombre à environ 4 000 à cette époque.[12] Cette expansion se traduit également par la création de nombreux regroupements d’organismes communautaires qui souhaitent ainsi mieux coordonner leurs actions sur le plan national et faire pression sur le gouvernement pour obtenir un meilleur financement et une véritable reconnaissance. Ces regroupements témoignent également du besoin des organismes communautaires de se réunir et de se concerter au fur et à mesure que se déploient leurs activités sur le territoire québécois.

Les organismes communautaires vont aussi profiter de la mise sur pied d’une importante commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux à la fin des années 1980   (la Commission Rochon) pour accéder à une certaine notoriété publique et une plus grande reconnaissance de leurs actions. Certes, la commission reconnaîtra elle-même que le nouvel intérêt de l’État québécois pour ces organismes n’est pas dénué de fondement économique dans une nouvelle conjoncture de compressions budgétaires. Mais cette commission, qui avait pour objectif « d’évaluer le fonctionnement et le financement du système de santé et des services sociaux »,[13] va aussi s’intéresser aux organismes communautaires compte tenu de leur expertise en matière de mobilisation, de démocratie et de participation populaire, des principes d’action que le gouvernement québécois souhaitaient voir se diffuser davantage au sein du réseau public. Cette réussite au plan démocratique parvenait toutefois mal à dissimuler la situation précaire de plusieurs organismes, le sous-financement constituant l’un des principaux problèmes de ces organisations. À cet égard, le rapport de la commission Rochon propose l’octroi de subvention d’infrastructure dans le cadre d’un programme de portée provinciale et l’attribution de subventions pour répondre à des problématiques spécifiques sur les plans régional ou provincial.

Ces propositions vont trouver un écho au début des années 1990 dans le cadre d’une régionalisation du système de santé et des services sociaux avec la réforme Côté (du nom du ministre Libéral Marc-Yvan Côté qui a piloté cette réforme à l’époque) (Gouvernement du Québec, 1990). Les organismes communautaires vont réussir à faire inscrire dans la loi la protection de leur autonomie dans le cadre de leur mission globale (intervention auprès des jeunes, des femmes, en santé mentale, etc.), malgré les orientations parfois divergentes adoptées par le ministère de la Santé et des Services sociaux (les fameux articles 334 et 335 de la loi sur les services de santé et de service sociaux). En d’autres termes, les organismes communautaire se voyaient reconnaître le droit de recevoir du financement pour leur mission générale, caractérisée par une certaine flexibilité sur le plan de l’utilisation des ressources obtenues, alors que le ministère s’octroyait également la possibilité d’offrir aux organismes communautaires du financement plus spécifique visant des objectifs dictées davantage par des priorités ministérielles. C’est au cours de cette période que le programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) prendra valeur de symbole en quelque sorte pour les milieux communautaires en santé et services sociaux puisque ses modalités sont en convergence avec certaines des valeurs promues depuis les années 1970 (autonomie, respect de leur mission, souplesse du financement, reddition de compte adapté à leur spécificité). C’est aussi à cette époque que va culminer en quelque sorte le processus fédératif amorcé dans les années 1980 avec la création en 1991 de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB). Prenant prétexte du nouveau projet de loi mis sur la table par le gouvernement Libéral, un certain nombre de regroupements vont faire cause commune et travailler conjointement pour analyser les conséquences de ce texte législatif sur le fonctionnement des organismes communautaires et leur autonomie.[14]

Cette période se caractérise également par une transformation majeure des rapports entre les milieux communautaires et le MSSS puisque les canaux par lesquels vont transiter leur financement vont être considérablement modifiés, passant d’un rapport direct entre le ministère et les organismes (et leur regroupement) à une redistribution régionale arbitrée par de nouvelles instances régionales : les régies régionales. Or, historiquement, les organismes communautaires s’étaient regroupés au cours des années 1980 sur une base sectorielle qui correspondait en partie aux découpages administratifs étatiques : regroupement des maisons de jeunes, centre de femmes, ressources alternatives en santé mentale, centre d’action bénévole, etc. À partir des années 1990, les enveloppes budgétaires sont décentralisées et leur répartition s’opère sur une base territoriale et intersectorielle. Cette nouvelle donne force les organismes communautaires à se doter de nouvelles instances de représentation régionale et territoriale qui se juxtaposent à celles déjà créées sur le plan sectoriel : les tables régionales d’organismes communautaires (TROC). Cette nouvelle représentation s’avère d’autant plus importante que les administrateurs des nouvelles régies régionales sont élus et que quatre sièges sont réservés aux représentants des organismes communautaires qui en profiteront, du moins dans certaines régions, pour faire des gains intéressants sur le plan de la reconnaissance et du financement. Cette double représentation n’ira toutefois pas sans quelques tensions au sein des milieux communautaires qui doivent désormais négocier entre leurs différentes composantes sur un même territoire l’établissement des priorités de financement. Cette situation met aussi à jour de manière surprenante les disparités de financement qui se sont développées entre les divers types d’organismes depuis les années 1970, même parmi ceux financés par le MSSS.[7]

La Politique du SACA

Les années 2000 semblent s’ouvrir sur une nouvelle ère pour l’ensemble des organismes communautaires avec l’adoption de la politique gouvernementale de reconnaissance et de soutien à l’action communautaire.[15] Cette politique, revendiquée par les organismes depuis plusieurs années, ne répond pas nécessairement à l’ensemble de leurs revendications, mais elle constitue néanmoins une avancée importante en terme de reconnaissance et de mise à jour des politiques gouvernementales en matière de financement des organismes communautaires.

Dans un premier temps, elle attribue aux organismes communautaires un ministère parrain, c’est-à-dire que les organismes n’ont plus à soumettre leurs demandes de reconnaissance et de financement à divers ministères (ce qui était devenu un irritant majeur dans certains cas). Ils sont désormais en interface avec un ministère attitré qui devient leur principal interlocuteur, notamment pour la formulation des demandes de financement. Les groupes de défense de droits, quant à eux, sont directement financés par le Secrétariat à l’action communautaire autonome SACA)[16], ce qui les soustrait à une trop grande proximité avec leurs vis-à-vis ministériels qui, jusque-là, étaient, en quelque sorte juge et partie dans l’attribution des financements ainsi que dans les négociations visant à répondre aux revendications des communautés soutenues par ces organismes.

Cette politique va aussi structurer l’octroi de subvention gouvernementale aux organismes selon trois modes de financement : financement de base (mission globale), financement spécifique (entente de services) et financement ponctuel (ou par projet). Enfin, prenant exemple sur le financement à la mission globale obtenu de haute lutte par les organismes communautaires en santé et services sociaux par l’entremise du PSOC (qui, eux-mêmes, ont profité des luttes menées par les organismes en santé mentale), la Politique encourage les autres ministères du gouvernement du Québec a favoriser ce type de financement dans l’octroi de subventions aux organismes communautaires qui leur sont rattachés. Malgré ses omissions et son application inégale selon les ministères, cette politique va consacrer une certaine reconnaissance des organismes communautaires au Québec, permettre l’élaboration d’un plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire pour la période 2004 à 2008[17] et ajouter une pierre supplémentaire dans l’édifice institutionnel favorisant la reconnaissance des organismes communautaires au Québec.[18]

Des années de paradoxe

Mais on aurait tort de comprendre l’adoption et la l’application de la politique du SACA dans un sens univoque de reconnaissance des milieux communautaires par le gouvernement québécois. On pourrait plutôt considérer cette politique comme l’achèvement d’une période antérieure (les années 1990) et de projet mis de l’avant par des gouvernements peut-être plus attentifs aux revendications de ces milieux. L’élection du gouvernement du Parti québécois de Lucien Bouchard en 1998 et la parution du rapport de la Commission Clair en 2000 allaient mettre un terme d’une certaine manière à cette phase de développement des milieux communautaires (Clair, 2000). Le début des années 2000 se révèle ainsi une période de paradoxe puisque si les gains obtenus par les milieux communautaires au cours des années 1980 et 1990 en termes de reconnaissance et de financement vont se cristalliser en partie dans la Politique du SACA, il y aura peu de gain significatif dans les années suivantes, sinon de manière ponctuelle pour des organismes évoluant dans certains secteurs ciblés directement par le MSSS. La mise en place de politiques liées à la Nouvelle gestion publique (NGP) dans les différents ministères du l’État québécois, incluant la santé et les services sociaux, dans le cadre de la Loi sur l’administration publique de 2000[19], va ainsi freiner l’élan pris par les milieux communautaires au cours des années 1980 et 1990.

La NGP est une forme de pratiques managériales qui s’inspire du secteur marchand et qui s’appuie sur des principes tels que le contrôle, la mesure, la calculabilité et la performance. L’État cherche ainsi à assurer un meilleur contrôle du coût des services de santé et des services sociaux par une meilleure intégration au système des différents producteurs de services, y compris les milieux communautaires.[20] Dans ce contexte, la conjoncture devient plus difficile pour les organismes communautaires puisque leurs actions génèrent de nombreuses incertitudes pour le MSSS. Leurs pratiques — axées sur la création du lien social, la mobilisation des communautés, et, de manière générale, de nouvelles formes d’intervention — et leurs principes d’action — proximité, solidarité, réciprocité participation, expérimentation — sont en effet difficilement quantifiables et se prêtent mal aux nouveaux dispositifs d’évaluation mis en place par l’État. Avec les réformes que plusieurs chercheurs qualifient d’autoritaires et hiérarchiques menées par les ministres libéraux Philippe Couillard en 2003[21] et Gaétan Barrette en 2015, l’étau se resserre autour du financement des organismes communautaires. Les mesures d’austérité imposées par le gouvernement Libéral de Philippe Couillard, devenu premier ministre, accentuent la précarité financière de plusieurs organismes qui « étouffent » littéralement sous le poids des restrictions budgétaires.[22] À titre d’illustration, alors que la moyenne annuelle d’augmentation du financement des organismes en santé et services sociaux se situait autour de 13 % au cours des années 1990 (Jetté, 2008), elle est limitée à une simple indexation variant entre 0,9 % et 2 % pour la plupart des organismes au cours des dix dernières années.

Les organismes communautaires doivent aussi apprendre à composer avec un nouvel acteur — la fondation André et Lucie Chagnon (FLAC) — qui va conclure d’importantes ententes de partenariat en 2007 et 2008 avec le gouvernement du Québec pour le financement de programmes d’intervention et d’activités de concertation visant certains organismes oeuvrant dans le domaine de la petite enfance et du soutien auprès des proches aidants. Ces nouveaux PPP (partenariat public-philanthropie) vont susciter de vives discussions au sein des milieux communautaires quant à leur pertinence et leur légitimité. L’arrivée de la FLAC contribue aussi à mettre à l’ordre du jour la question de la multiplication des instances de concertation et de partenariat — pouvant mener jusqu’à l’hyper concertation — auxquelles sont appelés à participer les organismes communautaires. Si ces instances sont considérées par certains comme des leviers importants de développement social pour les communautés, d’autres y voient plutôt la mise en place de stratégies de récupération et de contrôle social de la société civile (Bourque, 2008).

Sur le front de la démocratie participative, les organismes communautaires font face également à de nombreux défis à partir du début des années 2010 puisque plusieurs instances de concertation régionales soutenues par l’État québécois ne sont plus financés ou sont carrément abolies, ce qui tend à réduire les lieux d’expression citoyenne et communautaire. La régionalisation des services et l’élection des administrateurs dans les établissements sociosanitaires locaux et régionaux ne sont plus qu’un souvenir avec la création successive en 2003 des Centres de santé et de services sociaux (CSSS), des Agences de santé et de services sociaux (en remplacement des régies régionales) et par la suite, en 2015, des Centres intégrés (universitaires) de santé et de services sociaux (CISSS et CIUSSS) qui viennent renforcer la main mise ministérielle sur l’orientation des services et mettre un terme aux processus électifs. Le projet de loi 56 sur la transparence en matière de lobbying déposé à l’automne 2015 fait aussi l’objet de nombreuses critiques de la part des milieux communautaires qui y voient une remise en question de leur dimension sociopolitique, et qui s’inquiètent des répercussions de ce projet de loi sur le caractère militant et revendicateur de leur action.[23]

Face à ce qu’ils considèrent comme une menace importante à leur autonomie et au maintien des programmes sociaux, les organismes et leurs principaux regroupements nationaux et régionaux vont donc réagir en organisant pour la première fois de leur histoire deux grèves successives à l’automne 2014 et 2015 afin de mettre de la pression sur le gouvernement et sensibiliser la population aux répercussions néfastes des politiques d’austérité mises en place par ce même gouvernement libéral. Ces grèves constituaient en quelque sorte le point d’orgue d’une campagne de sensibilisation lancée en 2012 par les organismes communautaires autonomes oeuvrant en santé et services sociaux (OCASSS) pour soutenir leurs revendications et dénoncer leur sous-financement structurel. Le slogan de la campagne — Je tiens à ma communauté. Je soutiens le communautaire —  vise ainsi à mettre en relief « le rôle majeur » joué par les OCASSS dans la réduction des inégalités, la prévention des problèmes sociaux et l’amélioration des conditions de vie des collectivités.[24]

Malgré tous les obstacles et complications auxquels ont dû faire face les organismes communautaires au cours des années 2000, leur développement n’a pas pour autant été complètement entravé. Certaines ententes ont pu être négociées avec l’État québécois, notamment la convention du PSOC pour la reddition de comptes (2012). Plusieurs acquis ont pu aussi être maintenus. La Politique du Secrétariat à l’action communautaire autonome (2001) continue de s’appliquer malgré le désintérêt de certains ministères. Le financement à la mission globale a continué à augmenter (quoique faiblement) au cours des dernières années.[25] Les organismes ont également poursuivi leur travail d’innovation sociale en participant à l’élaboration et la mise en œuvre de différentes politiques et pratiques, notamment le Cadre de référence sur le soutien communautaire dans le logement social (SHQ, 2007) et la politique sur l’itinérance.[26]

Cette question des innovations, et des conditions qui permettent leur éclosion, est cruciale puisqu’elle constitue en quelque sorte le fondement de la pertinence de ces organismes qui participent ainsi à l’évolution et la transformation des services sociaux et de santé, et plus largement de la société québécoise dans son ensemble.[7] Des maisons de jeunes au Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), des ressources alternatives en santé mentale aux organismes bénévoles en soutien à domicile, en passant par les centres d’intervention en dépendance, les organismes de défense des personnes handicapées et les centre de prévention du suicide, les organismes communautaires en santé et services sociaux ont lutté depuis les années 1970 pour établir et préserver cette autonomie qui leur permet d’expérimenter, d’innover et de mettre en oeuvre avec les personnes et les communautés concernées des activités, des services et des politiques spécifiques adaptés à leur réalité, tout en faisant la promotion de la justice sociale.

Les organismes communautaires se sont ainsi avérés les acteurs d’une véritable coconstruction de plusieurs politiques publiques au cours des dernières décennies dans le domaine de la santé et des services sociaux, faisant ainsi rayonner au sein de l’ensemble de la société québécoises leur expertise et leur savoir faire spécifiques, qui vient conforter la légitimité de leur développement aux côtés des secteurs publics et marchand. Leur défi reste maintenant de poursuivre ce travail —toujours inachevé dans le contexte évolutif de nos sociétés — dans une conjoncture marquée par l’austérité où les rapports avec l’État semblent soumis prioritairement à des contraintes d’ordre budgétaire et instrumental.[27][28]

Principales réalisations/événements marquants

L’intervention des OCASSS va bien au-delà de la simple satisfaction des besoins sociaux et en santé de la population. Les OCASSS sont engagés dans[29]:

  • le travail quotidien contre la pauvreté et la discrimination, ainsi qu’en vue de l’amélioration de la qualité du tissu social par la création de groupes d’entraide, de défense de droits, la mise en place de services adaptés aux besoins des personnes, etc.;
  • l’action sociale et politique visant une profonde transformation des lois, des institutions, du marché, des mentalités afin de contrer l’exclusion et de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes;
  • la création d’espaces démocratiques - démocratisation des lieux d’existence et des lieux de pouvoir - et dans la revitalisation constante de la société civile.

La campagne Non à la convention

La campagne « Non à la convention PSOC  » a été organisée conjointement par la Coalition des Tables régionales d’organismes communautaires (CTROC) et la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (la Table).

Cette campagne visait à démontrer au gouvernement que les groupes qui reçoivent du financement à la mission globale dans le cadre du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) rejetaient le projet de convention 2011-2014 qui était présenté par le ministère (MSSS) et qu’ils allaient prendre les moyens pour défendre l’action communautaire autonome. TOUS les organismes financés par le PSOC à la mission (membres ou non d’une Table régionale ou d’un Regroupement national) étaient invités à signer la résolution. Les organismes non financés par le PSOC à la mission pouvaient quant à eux appuyer cette campagne.

La campagne Je tiens à ma communauté > Je soutiens le communautaire

Au printemps 2012, un Comité de coordination réunissant la Coalition des Tables régionales des organismes communautaires (CTROC) et la Table est formé. Une vaste consultation est lancée auprès des regroupements régionaux et nationaux et des groupes de base pour connaître leurs intentions de participation à une campagne nationale pour le rehaussement financier des organismes communautaires en santé et services sociaux.

En 2014 et 2015, la campagne Je tiens à ma communauté > Je soutiens le communautaire organise des activités de perturbation et de grève afin d’exiger un meilleur financement, le respect de l'autonomie des organismes communautaires autonomes en santé et en services sociaux (OCASSS) ainsi que la reconnaissance de leur rôle dans la réduction des inégalités et l’amélioration des conditions de vie des personnes et des communautés. La campagne se poursuit en 2016.

Membres, instances ou structures et représentations

Les OCASSS se caractérisent par :

  • un fonctionnement démocratique,
  • une vision globale de la santé et du bien-être des personnes et de la société,
  • une approche globale,
  • une action basée sur l’autonomie des groupes et des individus,
  • une capacité d’innover,
  • un enracinement dans la communauté.

Ils portent aussi une vision « autre » du service, avec une conception plus égalitaire des rapports entre les personnes intervenantes et participantes. Leur contribution ne peut donc pas être restreinte ou évaluée selon une simple logique d’organisation de services.

Les OCASSS sont organisés par secteurs d’intervention (regroupements) et régionalement.

  • La Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (Table ou TRPOCB) promeut les intérêts des organismes d'action communautaire autonome du domaine de la santé et des services sociaux et effectue des représentations auprès des instances politiques, principalement auprès du Ministère de la santé et des services sociaux (MSSS). Elle est composée de 42 membres, tous des regroupements nationaux œuvrant dans le secteur santé/services sociaux.
  • La Coalition des Tables régionales des organismes communautaires (CTROC) regroupe les Tables régionales d’organismes communautaires (TROC) ou les Regroupements d’organismes communautaires (ROC) des différentes régions afin de favoriser la collaboration, la concertation et l’échange, dans une optique de soutien au développement des organismes communautaires autonomes. Forte de ses 16 membres, la CTROC a pour principal mandat de promouvoir un réseau de santé et de services sociaux public, universel, accessible et gratuit.

Principales sources de financement

Gouvernement provincial

Ministère de la Santé et des services sociaux

Voir aussi

Site Web de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (Table ou TRPOCB)

Site Web de la Coalition des Tables Régionales des Organismes Communautaires (CTROC)

Vidéo du RiOCM sur l'évolution du programme PSOC

Références

  1. http://trpocb.org/latable/ocasssaca/
  2. http://jesoutienslecommunautaire.org/revendications/
  3. Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales (SACAIS) (2015). Soutien financier gouvernemental en action communautaire. État de situation consolidé 2012-2013 et 2013-2014, Québec, ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 91 pages.
  4. Bélanger, Paul R. et Benoît Lévesque (1992). « Le mouvement populaire et communautaire : de la revendication au partenariat » dans Daigle, Gérard et Guy Rocher (sous la direction de), Le Québec en jeu, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 712-747.
  5. Boivin, Robert (1988). Histoire de la Clinique des citoyens de Saint-Jacques (1968-1988). Des comités de citoyens au CLSC du Plateau Mont-Royal, VLB Éditeur, 257 p.
  6. Bélanger, Paul R., Lévesque, Benoît et Marc Plamondon (1987). Flexibilité du travail et demande sociale dans les CLSC, annexe au rapport de la Commission Rochon, Québec, Les Publications du Québec, 352 p.
  7. 7,0, 7,1 et 7,2 Jetté, Christian (2008). Les organismes communautaires et la transformation de l’État-providence. Trois décennies de coconstruction des politiques publiques dans le domaine de la santé et des services sociaux, Québec, PUQ, 422 p.
  8. Ministère des Affaires sociales (MAS) (1973). Rapport annuel, Québec, Gouvernement du Québec.
  9. Conseil des Affaires sociales et de la Famille (1976). Promotion de la participation des groupes populaires à la gestion des services publics et au développement des communautés, Québec, Éditeur officiel du Québec, 55 p.
  10. Conseil des Affaires sociales et de la Famille (1978). La question de la promotion des initiatives volontaires dans le domaine des affaires sociales au Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 27 p.
  11. Comité de la santé mentale du Québec (CSMQ) (1985). La santé mentale. Rôles et place des ressources alternatives, Québec, gouvernement du Québec, 168 p.
  12. Corporation de développement communautaire des Bois-Francs (CDC) (1987). Fais-moi signe de changement. Les actes du colloque provincial sur le développement communautaire, tenu à Victoriaville du 16 au 18 octobre 1986, Victoriaville, CDC des Bois-Francs, 247 p.
  13. Rochon, Jean (1988). Rapport de la Commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux, Gouvernement du Québec, p. 709.
  14. Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB) (1992). Régionalisation et démocratie. Pour une réelle participation des organismes communautaires et bénévoles, Montréal, 38 p.
  15. Secrétariat à l'action communautaire autonome (SACA) (2001). L'action communautaire : une contribution essentielle à l'exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, Québec, Gouvernement du Québec, 59 p.
  16. Le SACA deviendra quelques années plus tard le Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales (SACAIS)
  17. MSSS (2004). Plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire, Québec, Gouvernement du Québec, 21 pages.
  18. White, Deena et l’équipe d’évaluation de la politique (2008). La gouvernance intersectorielle à l’épreuve. Évaluation de la mise en œuvre et des premières retombées de la Politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire, Montréal Centre de recherche sur les politiques et le développement, 199 p.
  19. Rouillard, Christian, Montpetit, Éric, Forter Isabelle et Alain-G. Gagnon (2009). De la réingénierie à la modernisation de l’État québécois, Québec, Presses de l’Université Laval, 192 pages.
  20. Fortier, Isabelle (2010). « La modernisation de l’État québécois : la gouvernance démocratique à l’épreuve des enjeux du managérialisme », Nouvelles pratiques sociales, vol. 22, no 2, 35-50.
  21. Depelteau, Julie (2013). Enjeux liés au financement et à la gouvernance des organismes communautaires québécois, Montréal, IRIS, 35 pages.
  22. La Salle, Martin (2016). « Les organismes communautaires en santé et services sociaux étouffent », Forum, 29 février, http://nouvelles.umontreal.ca/article/2016/02/29/les-organismes-communautaires-en-sante-et-services-sociaux-etouffent/, page consultée le 6 octobre 2016.
  23. Locas, Marie-Chantal (2015). Projet de loi 56 : mon OSBL n’est pas un lobby !, http://www.riocm.ca/bulletin/6112/, page consultée le 7 octobre 2016.
  24. CTROC et TRPOCB (2015). Je tiens à ma communauté. Je soutiens le communautaire,  http://jesoutienslecommunautaire.org/, page consultée le 7 octobre 2016.
  25. Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales (SACAIS) (2015). Soutien financier gouvernemental en action communautaire. État de situation consolidé 2012-2013 et 2013-2014, Québec, ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 91 pages.
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  27. Jetté, Christian et Yves Vaillancourt (2016). « Le palmarès de la déconstruction démocratique », dans Le Devoir, 5 février 2016.
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